Le témoignage de Pierre

Voici l’histoire de Skarfey, à mes yeux hors du commun. Ce récit succinct n’est en rien une leçon, juste une envie de partager mon expérience.Skarfey

Skarfey est comme on dit un chien agressif. Il ne sait pas interagir avec ses congénères sans mordre. Mais comment est-ce que j’ai pu en arriver là, alors que j’ai cru avoir fait ce qu’il fallait pour avoir un chien équilibré? Jusqu’à l’âge de deux ans il n’y a eu qu’une aggravation de ses comportements agressifs.
Quand Skarfey arrive à la maison, Cream, deux ans est déjà là. Tout se passe pour le mieux, la cohabitation se déroule parfaitement. Il s’attache très vite et fort à sa grande sœur. Il en sera ainsi jusqu’au décès de Cream à l’âge de quatre ans.
Aussitôt il est inscrit à l’école du chiot. Grâce à la pratique du clicker training les apprentissages sont rapides. J’ai l’habitude de dire que c’est un bon petit gars. En quelques mois il répond parfaitement aux critères d’une bonne éducation canine. Mais parallèlement les rapports aux autres chiens deviennent de plus en plus « difficiles ». Le jeu entre chiots, non régulé par des chiens adultes, devient source d’excitation, grandissante au fil des semaines. Cette excitation de plus en plus forte va générer d’une part la perte progressive des auto-contrôles et d’autre part une frustration de moins en moins bien tolérée. 
A l’âge de six mois on me dit que Skarfey présente des troubles du comportement, « les autres chiens sont des proies pour lui ». Je consulte rapidement, une stratégie rééducative est mise en place. Sous forme de balades, Skarfey est immergé dans la meute, pour qu’il apprenne et respecte les codes canins. Au cours de ces balades, il rencontre différents chiens, de nombreux adultes, certains ayant des problèmes. Devant cette instabilité émotionnelle Skarfey est rejeté par les autres. Il insiste, en fait toujours plus. On ajoute des fleurs de Bach, puis des médicaments, on augmente les doses, on change de médicaments. Mais les choses ne font que s’aggraver, en présence d’autres chiens j’ai un chien « intenable ». La frustration devient telle qu’elle est insupportable, la première morsure se produit. Puis les suivantes. Les mesures punitives mises en place après les morsures (retournement sur le dos, mise à l’écart du groupe, en laisse courte) ont fait que les charges sont devenues systématiques et immédiates lors d’une rencontre canine. Sortir « le bon petit gars » devient un enfer, alors qu’il n’a même pas deux ans. Je vois différentes personnes mais aucune des solutions proposées n’améliore la situation. Pas question de laisser tomber, de m’en séparer comme bien souvent on me le suggère.
Depuis bientôt deux ans nous suivons un tout autre chemin, basé sur l’observation du chien. C’est ainsi que nous avons pu analyser les troubles qu’il présente. Skarfey a un seuil d’excitabilité très bas, une mauvaise tolérance à la frustration, un problème de chevauchement. Le premier travail, après la castration pour diminuer ce désir de chevauchement, a donc été de lui faire accepter la frustration, de supprimer tout facteur d’excitation. J’ai du changer pas mal de choses dans mes comportements pour ne pas déclencher et/ou renforcer, plus ou moins consciemment, ces deux facteurs. L’influence de l’humain sur le comportement canin est primordial, parfois insoupçonnée.

Skarfey en balade
Peu à peu le contact avec les congénères est renoué très progressivement. Actuellement nous arrivons à faire des balades avec des chiens parfois nombreux, dans certains conditions. Il lui faut du calme et est en longe pour la sécurité. 
L’histoire de Skarfey, comme tout individu et comme toute relation entre le maître et son chien, est unique. Grâce à lui j’ai énormément appris et continue à apprendre.

Skarfey et Ikuma

 

La rééducation

Âgé de deux ans Skarfey est très excité à l’approche, même éloignée de tout chien. La moindre tentative de contact se traduit par une morsure avant même qu’il y ait eu une prise d’informations, sans réelle confrontation ni bagarre. Sur les conseils d’une adhérente du club canin où je pratique le clicker training, je lis le livre « Penser son éducation autrement « . Beaucoup d’idées me paraissent logiques évidentes ou complexes. A l’automne 2010 je me tourne vers le Club de l’Ecole de Prévention contre le délinquance canine aux méthodes soit disant peu orthodoxes. Le contact est pris auprès de Nadine. Que dire de cette première rencontre ? Éprouvante,incompréhensible,bouleversante. Après m’avoir mis une longe entre les mains, nous nous présentons à un portail fait de barreaux verticaux qui me paraît bien fragile. De l’autre côté Nadine et Nathalie font défiler Twiggy , Eris , Grand Loup , Loupinette. Les chiens s’avancent seul ou ensemble ou par deux ou les mâles ou les femelles. Skarfey n’a cessé d’aboyer, de charger pendant deux heures. Je redoute le moment où le portail va casser, les échanges me paraissent violents. Je ne comprends pas pourquoi on les laisse faire. Les chiens en face se retirent quand on les rappelle, cela m’épate. Puis Nadine me demande de rentrer sur le terrain, avec Skarfey. Je ne peux pas je suis persuadé que les quatre chiens vont nous sauter dessus. Ma tension est extrême. Une troisième personne du club vient tenir et manipuler la longe. Twiggy, Grand Loup, Loupinette gardent leur distance. Eris est encore en longe car arrivée depuis peu auprès de Nadine. Skarfey est toujours très excité par la présence des ses quatre futurs amis qui nous suivent mais aussi par la découverte de ce nouvel endroit. La promenade est sportive, mais il n’y a pas d’accident. La séance se termine. Nadine me confirme qu’il y a du travail et qu’il est préférable de procéder d’abord à la castration. Déboussolé, car ce n’est bien plus tard que je comprendrai l’intérêt de ce travail d’observation au portail, je sens intuitivement que j’ai beaucoup à apprendre dans ce club. Skarfey dormira deux jours presque sans interruption. Un mois plus tard les séances débutent. Très vite Nadine se rend compte que le travail au portail crée une telle excitation chez Skarfey que ces séances ne seront pas bénéfiques. Elle décide de privilégier l’observation pour lui. Il s’en suit une longue période de solitude très instructive. Quand tous les chiens du club sont sur le terrain, nous entrons à notre tour. Nous sommes installés à distance. Skarfey manifeste beaucoup, la frustration est intense. Je ne dois avoir aucune interaction avec lui, pas de contact pas de parole pas de regard. Peu à peu il se pose, nous pouvons nous rapprocher de quelques centimètres. Le cycle excitation-frustration-observation reprend. Pendant ce temps je regarde les adhérents évoluer sur le terrain, je n’entend pas les consignes et commentaires. Je m’imprègne de la méthode, de l’intérêt du vocabulaire utilisé, des déplacements adéquats. Ma hantise de voir un chien s’approcher diminue. Rares sont les chiens qui viennent se mettre en danger au vu de l’énergumène. Et Eris sait me tenir à distance! Puis les présentations au portail reprennent. Pour l’aider à défixer je m’éloigne sans tirer sur la longe, dans la bonne direction lentement et en silence. Skarfey étant très sensible à la voix je ne parle pas ne donne pas d’ordre ce qui le relancerait. Au début j’arrive fréquemment en bout de longe. Petit à petit la distance diminue, il défixe plus vite. On constate que entre deux charges il peut s’informer et même avoir un contact à travers les barreaux. Je prend conscience de l’importance du regard qui incitera la charge si moi-même je regarde en direction du chien qui approche. Après la séance au portail nous entrons sur le terrain, nous sommes maintenant très proches des autres. Même s’il reste très sensible à l’excitation et aux mouvements des autres, il gère mieux la distance. Il y a plus de phases d’observation moins d’excitation.

skarfey

De mon côté beaucoup de choses changent. Finies les séances quotidiennes de clicker, mon vocabulaire évolue de même que l’intonation. Les sorties se font dans un no man’s land, je ralentis l’allure, je me tais, je veille à avoir le bon déplacement, j’apprends à manier et à aimer la longe, je pose mon regard différemment, je teste la caresse apaisante. A l’automne 2011 la rééducation se poursuit sous forme de balade sur un chemin sinueux. Un chien d’abord femelle est introduit devant nous puis derrière nous. Skarfey reste très réactif mais l’évolution est bonne, la distance nous séparant du binôme nous précédant a tendance à diminuer tout doucement. Le véritable tournant a lieu lorsque Nadine décide d’introduire Twiggy et Eris. Dès les premiers aboiements de Twiggy Skarfey se fait tout petit. La queue chute, les oreilles sont repliées, le corps ramassé sur lui-même. Toute velléité d’excitation est inhibée. Il est enfin réceptif à une communication. Twiggy, aidé de Eris ne le lâchera pas. Toujours en longe, peu à peu d’autres chiens participent à la balade. La pression qu’ils mettent par leurs seuls aboiements et attitude est suffisante. Skarfey est complètement inhibé, reste au pied, s’intéresse peu à l’environnement. Pourtant Twiggy et Eris interviennent de moins en moins, puis plus du tout. Malgré cela Skarfey reste assez mal à l’aise, un peu dans sa bulle. Quand la tension du début de balade est un peu retombée, quand chaque chien et ils sont parfois nombreux maintenant, est occupé à flairer à droite à gauche, il est détaché. Ces moments sans longe sont de plus en plus fréquents. Il reste dans l’observation un peu à l’écart n’intervient pas dans les interactions des autres. Peu à peu il se détend, s’éloigne de moi, prend les odeurs des uns et des autres. Son allure est moins tassée, ses oreilles plus mobiles, sa queue balance sans excitation. Il fait sa balade en libre. Sur le terrain l’évolution est identique. Les efforts à fournir en statique sont plus intenses. Les progrès continus permettent de lâcher et d’enlever la longe. Étant plus à l’aise Skarfey s’exprime davantage. Des moments d’excitation peuvent survenir selon les circonstances. Mais il décroche vite et le valeureux Twiggy veille. La difficulté maintenant pour moi est de savoir ne pas intervenir afin qu’il puisse communiquer avec ses congénères. Il est alors indispensable de bien connaître son chien et de déceler les signes parfois discrets d’agression. On peut penser que la rééducation de Skarfey est longue. Parfois découragé Nadine a su me motiver. Il est très important de s’attacher aux micro-progrès et non pas à un résultat final préétabli. De même la lecture, l’écoute du chien permet de corriger son propre comportement en fonction de ce qu’il montre et d’adapter les situations pour une évolution favorable. Savoir s’adapter me semble la clef de la réussite. Grâce à sa méthodologie, À L’Ecoute du Chien tente de minimiser les impacts néfastes de l’humain sur le monde canin. Elle privilégie un modèle de communication kinesthésique, tactile et verbale cohérent. Il en résulte une relation de confiance mutuelle, un lien profond avec son chien. Au cours des séances collectives la part belle est faite aux interactions canines en fonction des particularités des uns et des autres. Grâce au fabuleux chef d’orchestre qu’est Twiggy chacun trouve sa place, renoue avec ses congénères dans une relation apaisée.

Pour progresser restons à l’écoute!

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